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Qu’il peigne de façon figurative ou non, chaque peintre fait interagir lignes et couleurs sur un fond qui n’est en général qu’un support. Pas Léo Baron: dès qu’il a commencé à peindre, le fond et la couleur ont été confondus. 

Quand aux lignes, elles n’ont jamais existé. Ce qui en a tenu lieu étaient des signes, que l’artiste a d’abord fait apparaître en grattant la superposition des couches peintes que recevait le fond, à l’aide d’une sorte de griffe qui pendant des années est devenue le prolongement de sa main. Cette histoire d’amour avec les signes a d’abord été passionnelle, exclusive: fond et couches de peintures ont été entièrement mis à leur service; et pour ne pas leur nuire la couleur, ne se permettant que quelques nuances de gris et de brun, est en restée à un austère noir et blanc. 

Concentration extrême de l’espace comme des moyens.



Evénement d’importance, en même temps qu’il entrait dans une véritable intimité avec eux, il y a quelques années le peintre a commencé à libérer ses signes bien-aimés! Au lieu d’utiliser un outil pour aller les chercher en vrac dans une profondeur, il les a fait naître un par un, les déposant avec un pinceau à la surface de larges feuilles sur lesquelles il les a alignées patiemment les uns au-dessous des autres, jusqu’à former de grands ensembles de traces noires qui laissaient entrevoir le simple blanc du papier. Puis il a assemblé chacune de ces pages, criblées de signes, avec une page sur laquelle une simple teinte, passée à l’encre sombre, semblait étirer le papier.  La juxtaposition avait remplacé la superposition. 
Ce n’est pas un hasard si le peintre a été, pendant des années, captivé par cette recherche. Poser face à face, en les séparant nettement par un blanc médian, deux surfaces sur lesquelles l’encre intervenait de manière contradictoire, s’est révélé une phase capitale pour l’équilibre de son travail. Aucun doute que la migration des signes dans un espace séparé exigeait l’établissement de cette puissante polarisation. Car de la contraction à l’expansion, ce schéma concerne deux données fondamentales pour la peinture: l’espace et le mouvement. Et un mouvement essentiel, puisque faisant alterner contraction et dilatation il est à l’origine de toute vie  - coeur comme souffle nous en sont témoins. 
Quand ils sont construits à partir de cette alternance essentielle, les dessins ne se donnent-ils pas toutes les chances d’acquérir eux-mêmes cette pulsation du vivant à laquelle toute oeuvre d’art aspire?

Récemment une nouvelle mutation a eu lieu dans la relation intime que Léo Baron entretient avec les signes.
Un autre pas vers la liberté? Le fait est que ce qui les tenait enchaînés à gauche et parfois au-dessus de la plage d’encre sombre, a volé en éclats. Le bloc unique qu’ils constituaient s’est lui-même fracturé, les multipliant en groupes parfois réduits qui vont et viennent désormais dans tout l’espace de la composition. Autorisés à franchir la marge qui les gardait, ils sont enfin libres de se porter à la rencontre des surfaces colorées, de les croiser, de les chevaucher et même de s’y glisser… 
Cette mobilité est d’autant plus ludique que les surfaces se sont elles aussi multipliées, interagissant sur les schémas les plus divers : elles se décalent ou s’imbriquent, se chevauchent ou se superposent, offrant à voir toujours plus de transparence dans la finesse des couches d’encre comme dans l’éclaircissement progressif des teintes. Un effet de transparence que souligne encore le blanc du papier qui, dispensé de son rôle de sentinelle, apparaît à des endroits si inattendus et sur des modes si variés qu’il devient part entière de la composition, participant à ce grand déploiement, au même titre que les signes et les surfaces colorées. Faisant aujourd’hui accéder signes, couleurs et fond à une liberté qu’il n’avaient encore jamais connue, l’espace pictural de Léo Baron, comme l’espace galactique, est décidément en expansion!
Catherine Deknuydt 



Entretien Léo Baron-Florence Barthélémy
Eté 2018.
« La crue du dedans et du dehors passent l’une dans l’autre. L’illimité rentre dans sa vie…Il
distingue dans ce crépuscule assez de la vie antérieure pour saisir ces deux bouts de fil
sombre et y renouer son âme. » Jean-Louis Chrétien.
Il y a eu tout d’abord des enfants, des maisons, des décors. Quand est venu le
temps de la peinture ?
J’ai toujours griffonné mais je ne me sentais pas légitime. Je ne pensais pas pouvoir
accéder à ce royaume, c’était comme un territoire sacré.
Disons qu’il y a eu un cheminement avec quelques points forts, des moments de
révélation pour moi comme la découverte de Michaux à la galerie Carré : c’est alors
un choc visuel, esthétique intense. Lié en grande partie au fait que cela échappait à
la référence, au langage, il y avait de la danse, de l’infra verbal. Je me sentais
prisonnier et là, tout à coup, la liberté !
Puis, dans les années 80, je fais une rencontre décisive, l’architecte Yann Brunel
avec lequel j’ai collaboré pour des maquettes et des projets d’architecture.
J’ai beaucoup appris avec lui, l’exigence, l’engagement dans la durée, l’attention aux
détails : j’étais un bon buvard et sa confiance totale en moi m’a donné un culot fou,
Mais cela a pris beaucoup de temps.
Le papier était là et le pinceau aussi mais surtout les feuilles de contreplaqué, de la
matière et des outils, râteaux, plumes de pintade, j’étais attiré par les outils « qui ne
faisaient pas peintre ».
Puis l’acrylique est arrivé et j’arrivais à travailler la laque et l’acrylique en même
temps.
J’ai changé de support, bois/vélin/tissu, j’ai eu beaucoup d’interrogations, car
certains supports me résistaient, je n’y arrivais pas : paradoxalement c’est à ce
moment là que j’ai commencé à me sentir peintre. Ce qui est important, c’est la
connaissance du transmetteur, c’est le pinceau qui va te poser des questions et si tu
ne les résous pas, tu ne vas pas pouvoir travailler.
C’est dans mon travail le temps des traces et d’une écriture dans la mouvance de
Michaux, la gestuelle de Pollock, le travail sur la matière de Tapies.
En 2012, j’ai repris de petits formats au pinceau, dans une sorte de continuité avec
le travail de maquette, les dessins réalisés lors de mes travaux d’architecture.
Je suis toujours dans l’idée de relier ces commencements avec ce que je peins
aujourd’hui.
Comment définir le moment du travail ? On imagine une tension physique,
entre l’extrême concentration et une attention flottante à ce qui est autour …
Oui, je fais le vide, c’est un ressenti physique très important. Ce qui prend place est
un flux qui est à la fois contrôlé et très libre. Le travail de la légèreté est
fondamental, c’est une danse. Tu donnes le mouvement aux éléments et pour
donner la vie, il faut que ce soit dans le corps, que ça passe par le corps :
mouvements, respiration, rythme, énergie. Après toutes ces années, j’ai installé une
forme de connaissance de soi. Comme un athlète.
Je ne calcule pas, je n’ai pas de plan préétabli, je pars : c’est un acte dans sa pureté
même, des possibilités, du désir. Une session va durer 4, 5, 6 heures. Une session
au sens musical, cela se joue en une seule fois, je n’ai pas de repentir possible
Quand je commence je ne sais pas ce qui va se passer. Et ça ne m’intéresserait pas
du tout !
Il y a une continuité, pas de début- milieu- fin, les signes tracés par le pinceau
s’enchaînent, ils ne signifient rien de précis mais cela a un sens. Comme les
premières écritures, cela a plus à voir avec l’abstraction.
On est frappé par cette apparente dualité, d’un côté une densité avec ce sillage
tracé par le pinceau et en regard cette fluidité faite de transparence et de
recouvrement offrant à la fois une durée et un espace.
Il y a des parties denses et des parties fluides, une tension entre vide et plein, la
lumière d’un côté, la densification de l’autre…mais c’est un couple, la partie
graphique n’est pas séparée de la peinture.
Les aplats : c’est ce qui me rapproche le plus de la peinture évidemment. Ce travail
sur les transparences est plus difficile que de tracer des points, des signes et je
cherche à amener de la profondeur.
La marge aussi est importante dans mon travail, je ressens la nécessité de délimiter
un espace, c’est assez rare que ce soit plein cadre.
Je réalise séparément les parties peintes et les parties graphiques, cela n’engage pas
les mêmes énergies ni les mêmes matériaux. Le travail de composition vient après.
J’ai en tête des assemblages précis puis parfois tout se mélange et je perds ce que
j’avais créé.
Mais finalement est-ce si important ? Il y a de nouvelles combinaisons, des
variations infinies et c’est une grande jouissance, cette sensation d’illimité.
Le travail sur les grands formats est venu peu à peu, j’avais le désir d’une
confrontation avec un espace plus vaste qui s’impose à celui qui regarde l’oeuvre.
Cela amène autre chose il me semble. Et paradoxalement, tout en allant vers ces
pièces plus grandes, je vais vers un allègement, j’accueille le vide, sans chercher à

occuper tout l’espace.

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